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« Ces gravures sont vraiment bonnes ; vous voyez là de jolis talents, qui ont su apprendre quelque chose et acquérir beaucoup de goût et beaucoup d’habileté. Mais cependant à tous ces dessins manque une qualité : la virilité. Notez ce mot et soulignez-le. Il manque là une certaine force pénétrante qui, dans les siècles précédents, se répandait partout et qui, dans le siècle actuel, ne manque pas seulement à la peinture, mais à tous les arts. La race actuelle est débile ; est-ce de naissance, ou est-ce dû à une éducation et à une nourriture plus faibles, je ne saurais le dire. »

— « On voit aussi, dis-je, l’influence qu’exerce sur les œuvres cette grandeur de caractère qui se rencontre plutôt dans les siècles passés. À Venise, quand on est devant les œuvres de Titien ou de Paul Veronèse, on sent combien l’esprit de ces hommes était puissant, soit pour concevoir, soit pour exécuter. Leur sensibilité si grande, si énergique s’est répandue dans toutes les parties de leurs tableaux ; cette puissance de leur caractère artistique élargit notre être et nous élève nous-mêmes, quand nous contemplons leurs œuvres. Cette virilité dont vous parlez se retrouve aussi très-marquée dans les paysages de Rubens. Ce ne sont que des arbres, des terrains, de l’eau, des rochers, des nuages, mais sa forte pensée a pénétré dans toutes les formes, et en voyant une nature qui nous est connue, nous la voyons animée de l’énergie de l’artiste et reproduite selon sa pensée. »

« C’est certain, dit Gœthe ; dans les arts et dans la poésie, le caractère, c’est tout, et cependant dans ces derniers temps il y a eu parmi les critiques de petits personnages qui n’étaient pas de cet avis, et qui voulaient que dans un ouvrage de poésie ou d’art, un grand carac-