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tions. « C’était là une de ses grandes qualités, dit Goethe. Il portait de l’intérêt à tout ce qui avait de l’importance, en quelque branche que ce fut. Il voulait toujours aller en avant, et toutes les inventions, toutes les organisations nouvelles du temps, il tâchait de les introduire chez lui. S’il n’y avait pas réussite, on n’en parlait plus. Je me demandais souvent comment je pourrais justifier tels ou tels échecs, mais il consentait gaiement à ne pas les voir, et partait à la recherche de quelque autre nouveauté. C’était une des grandes qualités de sa nature, qualité non acquise, mais innée. »

Pour dessert nous examinâmes quelques gravures des maîtres contemporains, surtout des paysages, et nous remarquâmes avec joie que dans toutes ces œuvres on n’apercevait rien de faux. « Depuis tant de siècles, dit-il, il y a dans ce monde tant d’œuvres remarquables qu’il ne faut pas s’étonner qu’elles exercent leur influence et fassent naître de nouvelles œuvres aussi bonnes. » — « Ce qui nuit, dis-je, ce sont les fausses doctrines, si nombreuses, qu’un jeune talent ne sait à quel saint se vouer. » — « Nous avons des exemples du mal qu’elles font, dit Goethe ; des générations tout entières ont sous nos yeux été perdues par de fausses maximes, elles nous ont à nous-mêmes fait du tort. De nos jours l’imprimerie donne une facilité toute nouvelle de prêcher rapidement et partout l’erreur. Quand même un critique, après des années, se corrige, et publie ses nouvelles convictions, sa mauvaise théorie n’a pas moins, pendant l’intervalle, exercé son action, et elle vivra toujours à côté de la bonne, comme une plante parasite. Ce qui me console, c’est qu’un talent vraiment grand ne se laisse ni égarer ni corrompre.