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pend aussi des circonstances, et du temps, et de l’heure : ce qui sert à l’un nuit à l’autre. Il y a de même des forces fécondantes dans le repos et le sommeil, et il y en a aussi dans le mouvement. Il y en a dans l’eau, et surtout dans l’atmosphère. — L’air frais des champs, voilà notre vraie place ; il semble que là l’esprit de Dieu entoure l’homme de son souffle, et qu’il soit soumis à une influence divine. Un des hommes les plus féconds qui aient jamais vécu, c’est lord Byron, qui passait tous les jours plusieurs heures en plein air, tantôt à cheval sur le bord de la mer, tantôt dans une barque, ramant ou tenant la voile, puis de là allant se baigner en mer et nageant pour exercer ses forces physiques[1]. » Goethe s’était assis en face de moi ; nous parlâmes encore de différents sujets, de lord Byron surtout ; nous rappelâmes les divers incidents qui troublèrent ses dernières années, jusqu’à ce qu’enfin une noble pensée, mais une malheureuse destinée, l’entraînassent finir son existence en Grèce.

« En général, dit Goethe, vous trouverez que souvent dans le milieu de la vie de l’homme il y a comme un virement ; tout dans la jeunesse lui réussissait, tout lui devient contraire, et les malheurs lui arrivent les uns après les autres. Savez-vous comment je m’explique cela ? C’est qu’il faut alors que l’homme soit détruit ! Tout homme extraordinaire a une certaine mission à remplir ; c’est pour elle qu’il a été appelé. Lorsqu’il l’a accomplie, il ne peut plus servir à rien sur cette terre sous sa forme actuelle, et la Providence l’emploie à quelque autre chose. — Mais comme tout ici-bas doit arriver

  1. « Je puis rester dans la mer pendant des heures, je m’y plais, et j’en sors avec une liberté d’esprit que je n’éprouve jamais que dans ces occasions. » Conversations de lord Byron avec Medwin, 1er vol., page 123.