Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien peu pratique, bien inexécutable. Elle est en contradiction avec la nature, avec l’expérience, avec la marche des choses depuis des siècles. Si chacun fait individuellement son devoir, et dans la sphère d’action la plus rapprochée, agit avec loyauté et énergie, l’ensemble de la société marchera bien. Dans ma carrière d’écrivain je ne me suis jamais demandé : Que veut la masse de la nation ? Comment servirai-je la société ? Non. Mais j’ai toujours travaillé à donner à mon esprit plus de pénétration et à être meilleur moi-même, à enrichir mon être propre, et à ne dire que ce que j’avais reconnu, par l’étude, bon et vrai. Ce que j’ai dit, je le reconnais, a exercé une action sur l’ensemble et a rendu des services au loin dans un grand cercle, mais ce n’était pas là mon but, c’était là une conséquence, qui sortira toujours et nécessairement de tout mouvement de forces naturelles. Si je m’étais donné pour but la satisfaction du peuple, si j’avais cherché à lui plaire, je lui aurais raconté de petites histoires et je me serais moqué de lui comme l’a fait feu le bienheureux Kotzebue. »

« Je n’ai rien à opposer à cela, répondis-je. Mais il n’y a pas seulement le bonheur dont on jouit à titre d’individu, il y a aussi le bonheur dont on jouit à titre de citoyen de l’État, de membre d’une grande communauté. Or, si on ne prend pas pour principe la distribution dans le peuple entier du plus grand bonheur possible, quelle sera donc la base de la législation ? »

« Si vous vous élevez si haut, je n’ai rien à dire. Mais il n’y a que fort peu d’élus qui soient appelés à faire usage de votre principe. C’est une recette pour les princes et les législateurs, et là encore, les lois selon moi doivent d’abord chercher à diminuer la masse des