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l’esprit dominera et sera souverain de la matière. On jettera des regards dans les grandes lois de la création, dans le laboratoire secret de Dieu ! Si nous ne connaissons que la méthode analytique, si nous ne nous occupons que de la partie matérielle, si nous ne sentons pas le souffle de l’Esprit qui donne à tout sa forme et qui, par une loi intime, empêche toute déviation, qu’est-ce donc que l’étude de la nature ? Voilà cinquante ans que je travaille à cette grande question ; j’ai commencé seul, j’ai rencontré plus tard quelques secours, et enfin à ma grande joie j’ai été dépassé par des esprits de la famille du mien. Quand j’ai envoyé à Pierre Camper mon premier aperçu sur l’os intermaxillaire, à ma grande tristesse je suis resté complètement incompris. Je ne réussis pas mieux avec Blumenbach ; cependant, après des relations personnelles, il se rangea à mon avis. J’ai ensuite gagné des partisans dans Sœmmering, Oken, Dalton, Carus et d’autres hommes également remarquables. Mais voilà que Geoffroy St-Hilaire passe de notre côté, et avec lui tous ses grands disciples, tous ses partisans français ! Cet événement est pour moi d’une importance incroyable, et c’est avec raison que je me réjouis d’avoir assez vécu pour voir le triomphe général d’une théorie à laquelle j’ai consacré ma vie et qui est spécialement la mienne. »

* Samedi, 21 août 1830.

J’ai recommandé à Goethe un jeune homme de grande espérance. Il m’a promis de faire quelque chose pour lui, mais il paraissait avoir peu de confiance. « Celui qui comme moi, a-t-il dit, a toute sa vie perdu un temps et un argent précieux à protéger de jeunes talents qui donnaient d’abord les plus hautes espérances, et qui, à la fin,