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l’exécution d’un plan conçu, tous les anneaux intermédiaires d’une chaîne de pensées dont on voit briller déjà les points extrêmes ; j’entends tout ce qui donne une vie, un corps visible à une œuvre d’art. — Ainsi, quand Shakspeare eut la première pensée de son Hamlet, quand l’idée de l’ensemble entra dans son esprit, comme une impression inattendue, et que, dans un instant d’émotion sublime, il aperçut les diverses situations, les divers caractères et le dénoûment général, ce fut là, pour lui, un pur présent d’en haut, sur lequel il n’avait eu aucune influence immédiate, quoique cependant pour qu’une telle vue soit possible, il faille toujours supposer l’existence d’un esprit comme le sien. — Quant à l’exécution de chaque scène, qui vint plus tard, quant aux dialogues des personnages, ils dépendaient tout à fait de lui ; il pouvait y travailler à ses heures, chaque jour, et comme il le voulait. — Cependant, dans tout ce que lui, Shakspeare, a fait, il y a toujours la même énergie de production, et on ne découvre pas dans ses pièces un seul passage qui ne soit pas dans le ton exact, et qui ait été écrit avec faiblesse. En le lisant, nous avons l’impression d’un être qui, spirituellement et corporellement, avait ses forces toujours et entièrement saines. — Si, au contraire, le tempérament physique d’un poëte dramatique n’est pas aussi solide, aussi parfait, s’il est exposé à des indispositions et à des langueurs, alors la force qui lui est nécessaire pour écrire ses dialogues lui manquera souvent, et cela peut-être bien pendant des jours entiers. S’il veut, par exemple, par des boissons spiritueuses, contraindre la fécondité absente à apparaître ou augmenter le peu qu’il sent en lui, alors il pourra peut-être avancer son œuvre, mais toutes les scènes qu’il aura ainsi produites