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« Est-ce qu’il n’y a pas, demandai-je, un moyen d’amener une veine de fécondité, ou du moins de rendre la veine plus abondante lorsqu’elle est trop maigre ? » — « C’est là un point bien bizarre, et sur lequel il y a bien à penser et à dire, répondit Goethe. Toute fécondité d’une nature très-élevée, tout ce qui est aperçu important, invention, grande pensée, tout ce qui porte des fruits et a des résultats, tout cela n’obéit à personne et reste au-dessus de toute puissance terrestre. L’homme doit considérer ces choses comme des présents inespérés d’en haut, comme de purs enfants de Dieu, qu’il faut recevoir avec une joie respectueuse et vénérer. — Il y a là comme une puissance démoniaque[1], qui mène l’homme comme elle le veut, pendant qu’il croit agir par lui-même. Dans ces circonstances l’homme doit souvent être considéré comme l’instrument du gouvernement suprême du monde, comme l’outil qui a été jugé digne de recevoir l’impulsion divine. — Je parle ainsi en pensant combien de fois il est arrivé qu’une seule idée ait donné à des siècles entiers une physionomie différente, et qu’un seul homme ait mis sur son temps une empreinte qui se reconnaissait encore dans les générations suivantes et continuait à produire un heureux effet. — Mais il y a aussi une fécondité d’espèce différente, soumise à des influences terrestres, et que l’homme tient plus en sa puissance, quoique là encore il trouve des motifs pour s’incliner devant quelque chose de divin. Je mets dans cette catégorie tout ce qui appartient à

  1. Les conversations suivantes vont éclaircir le sens de cette expression. Dans les développements que Goethe donne à ce sujet, on trouvera les indications les plus intéressantes sur son mysticisme, assez analogue au mysticisme de Socrate, par conséquent très-sage et très-réservé. On peut dire qu’il se réduit à ceci :
    Est Deus in nobis, agitante calescimus illo.