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dans le monde. Il produit beaucoup depuis quelque temps, et il est tout à fait enfoncé dans la seconde partie de Faust. Dans ces moments-là, Goethe n’aime pas la lecture, à moins que ce ne soit quelque lecture facile, légère, qui le repose, ou bien une lecture qui se rapporte au sujet qu’il traite. Il écarte tout ce qui porterait atteinte à la tranquillité de son travail, en l’occupant d’idées différentes. C’est le cas pour le Globe et le Temps. « Je vois, m’a-t-il dit, que de grands événements se préparent à Paris ; nous sommes à la veille d’une grande explosion. Comme je n’ai aucune influence sur ces événements, je veux attendre tranquillement, sans me tourmenter chaque jour inutilement de la marche rapide du drame. Je ne lis ni le Globe ni le Temps, et aussi ma Nuit de Walpurgis avance assez bien » — Il parla alors de la littérature française contemporaine, qui l’intéresse beaucoup : « Ce que les Français croient nouveau, dans leurs idées littéraires actuelles, n’est au fond rien autre chose que le reflet de ce que la littérature allemande a voulu faire et a accompli depuis cinquante ans. Le germe des pièces historiques, qui sont maintenant chez eux une nouveauté, se trouve déjà depuis un demi-siècle dans mon Gœtz[1]. Mais les écrivains allemands n’ont jamais pensé à cela et n’ont jamais écrit dans le but d’exercer une influence sur les Français. Moi-même, je n’ai jamais eu devant les yeux que mon Allemagne, et c’est pour ainsi dire hier ou avant-hier que l’idée m’est venue de tourner mes regards vers l’Occident, pour voir ce que nos voisins au delà du Rhin pensent de moi. Ils n’ont plus à leur tour aucune influence sur mes œuvres. Wieland lui-même, qui a imité

  1. Et Gœtz, à son tour, est un reflet de Shakspeare.