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sont des natures de génie, pour lesquelles tout est différent ; ils ont dans leur vie une seconde puberté, mais les autres hommes ne sont jeunes qu’une fois. — Chaque entéléchie[1] est un fragment de l’éternité et les quelques années qu’elle passe unie avec le corps terrestre ne la vieillissent pas. — Si cette entéléchie est d’une nature inférieure, elle sera peu souveraine pendant son obscurcissement corporel[2] et même le corps la dominera ; elle ne saura pas, quand il vieillira, le maintenir et l’arrêter. — Mais si au contraire elle est d’une nature puissante, comme c’est le cas chez tous les êtres de génie, non-seulement en se mêlant intimement au corps qu’elle anime, elle fortifiera et ennoblira son organisme ; mais encore, usant de la prééminence qu’elle a comme esprit, elle cherchera à faire valoir toujours son privilège d’éternelle jeunesse. De là vient que chez les hommes doués supérieurement, on voit, même pendant leur vieillesse, des périodes nouvelles de grande fécondité ; il semble toujours qu’il y a eu en eux un rajeunissement momentané, et c’est là ce que j’appellerais la seconde puberté.

« Mais la jeunesse est la jeunesse, et quelque puissante que se montre l’entéléchie, elle ne maîtrisera

  1. Pour désigner l’âme, Gœthe aimait à se servir de cette expression aristotélique, expression énergique en harmonie parfaite avec ses idées philosophiques et qui les révèle d’un mot. Entéléchie, c’est la force éternelle, l’essence inaltérable qui possède en soi toutes les lois de son développement.
  2. Goethe ici platonise ; cette définition : « La vie est un obscurcissement de l’âme par le corps, » semble extraite du Phédon. Elle sort naturellement de l’esprit de Goethe, si faussement accusé d’athéisme. Gœthe a lu et aimé toute sa vie Spinosa, mais sans jamais y trouver un panthéisme athée. Il n’y trouvait, comme tant de ses compatriotes, qu’une ardente piété, qui n’adore pas seulement Dieu caché et inconnu dans l’inconcevable infini, mais aussi Dieu visible et vivant dans l’univers que nos yeux contemplent.