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la terre ne touchent pas. Son médecin, M. Vogel, entra, s’assit auprès de nous et raconta les circonstances de la mort de la princesse, que Goethe écouta sans sortir de sa tranquillité et de son calme parfaits. Vogel partit, nous reprîmes le dîner et la conversation. On parla du Chaos[1], et Goethe loua comme excellentes les considérations sur le jeu que renferme le dernier numéro. Après le départ de Madame de Goethe et de ses enfants, je restai seul avec Goethe. Il me parla de sa Nuit classique de Walpurgis, me disant qu’il avançait tous les jours, et que cette composition étrange réussissait au delà de son attente. M. Soret arriva, apportant des compliments de condoléance de la part de la duchesse régnante. « Eh bien ! lui dit Goethe lorsqu’il le vit, approchez ! asseyez-vous. Le coup qui nous menaçait depuis longtemps nous a atteints ; nous n’avons plus du moins à lutter contre la cruelle incertitude ! Il nous faut voir maintenant comment nous nous arrangerons de nouveau avec la vie. » — « Voilà vos consolateurs, dit M. Soret, en lui montrant ses papiers. Le travail est un excellent moyen de triompher de la douleur. » — « Aussi longtemps qu’il fera jour, dit Goethe, nous resterons la tête levée, et tout ce que nous pourrons faire, nous ne le laisserons pas à faire après nous ! »

Il parla alors de personnes qui ont atteint un âge avancé, et fit mention de la célèbre Ninon. « Encore dans sa quatre-vingt-dixième année, dit-il, elle était jeune, mais aussi elle savait se maintenir en équilibre, et ne se tourmentait pas des choses terrestres plus qu’elles ne le méritent. La mort elle-même ne put pas lui en imposer plus qu’il ne faut. À dix-huit ans, elle fut gravement ma-

  1. Journal de Weimar. — Voir plus bas.