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tout ; à cet âge on le voyait s’avancer encore, toujours héros parfait.

« Mais vous avez raison, le vrai apogée de sa carrière se trouve dans sa jeunesse. — Et ce n’était pas peu de chose pour un individu d’origine obscure de savoir, en ce temps où toutes les intelligences bien douées étaient en mouvement, se faire tellement distinguer, qu’il se trouvât à vingt-sept ans l’idole d’une nation de trente millions d’âmes ! Oui, oui, mon bon, il faut être jeune pour faire de grandes choses. Et Napoléon n’est pas unique ! » — « Son frère Lucien, dis-je, était aussi dès sa jeunesse arrivé très-haut. Nous le voyons président des Cinq-Cents et ensuite ministre de l’intérieur, ayant à peine vingt-cinq ans accomplis. »

« Lucien n’a rien à faire ici, dit Goethe, car l’histoire offre par centaines des exemples d’hommes remarquables, qui, dès leur jeunesse, ont accompli les œuvres les plus éclatantes aussi bien dans les cabinets que sur les champs de bataille. Si j’étais prince, continua Goethe avec vivacité, je ne choisirais jamais pour mes premiers emplois des gens qui, n’ayant avancé que peu à peu, grâce à leur naissance ou à leur ancienneté, continuent dans leur vieillesse à se traîner sans se gêner dans leur ornière habituelle. On ne fait avec eux rien de bien remarquable. — Des jeunes gens, voilà ce que je voudrais avoir ! — Mais il me faudrait des talents, armés d’énergie et de clarté, et de plus animés d’une bonne volonté parfaite et d’une noblesse parfaite de caractère. — C’est alors que ce serait un plaisir de régner et d’entraîner son peuple en avant ! Mais où est le prince qui aurait le bonheur d’être aussi bien servi !…

« Je place de grandes espérances sur le prince hérédi-