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cette traduction française, chaque trait reprend sa fraîcheur, et me frappe comme s’il était tout nouveau pour moi. Le Faust est un sujet incommensurable, et tous les efforts que l’esprit ferait pour le pénétrer entièrement seraient vains. Il faut se rappeler que la première partie est sortie d’une situation d’esprit un peu trouble et obscure. Mais cette obscurité même attire les hommes, et ils se fatiguent à l’éclaircir, comme ils font pour tous les problèmes insolubles. »

Dimanche, 10 janvier 1830.

Aujourd’hui, après dîner, Goethe m’avait préparé une haute jouissance ; il m’a lu la scène dans laquelle Faust va vers les Mères.

Ce qu’il y a de nouveau, d’inattendu dans cette scène et la manière dont Goethe l’a traitée, me frappaient étrangement, et, comme Faust lui-même, je frissonnais. Après avoir tout écouté, tout senti, bien des passages restaient pour moi énigmatiques, et je fus obligé de prier Goethe de me donner quelques éclaircissements. Mais lui, comme d’habitude, garda son secret, me regardant avec de grands yeux, et me répétant le vers :

« Les Mères ! les Mères !… quelle étrange parole !… »

« Tout ce que je veux vous confier, c’est que j’ai vu dans Plutarque que dans l’antiquité grecque on parlait des Mères comme de Divinités. Voilà tout ce que je dois à la tradition ; le reste est de mon invention. Emportez le manuscrit chez vous, étudiez-le bien, et voyez comment vous vous en tirerez ! »

J’étais heureux de pouvoir étudier à l’aise cette curieuse scène. Voici ce que je pense des Mères, de leur nature, de leur action, de leur demeure, de leur entourage.

Si l’on peut se représenter l’immense intérieur de notre