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l’autre absurde, et alors l’une vaut aussi peu que l’autre. C’est là, il me semble, un mot d’un grand sens et sur lequel nous pouvons nous reposer. »

Mercredi, 20 décembre 1829.

Dîné avec Goethe. Nous parlâmes du chancelier et je demandai à Goethe si à son retour d’Italie il n’avait apporté aucune nouvelle de Manzoni. — « Il m’a parlé de lui dans une lettre, dit Goethe. Il lui a fait visite, il vit dans une maison de campagne près de Milan, et à mon grand chagrin il est continuellement souffrant. »

« — Il est singulier, dis-je, que les talents distingués, et surtout les poëtes, aient si souvent une constitution débile. »

« — Les œuvres extraordinaires que ces hommes produisent, dit Goethe, supposent une organisation très-délicate, car il faut qu’ils aient une sensibilité exceptionnelle et puissent entendre la voix des êtres célestes. Or, une pareille organisation, mise en conflit avec le monde et avec les éléments, est facilement troublée, blessée, et celui qui ne réunit pas, comme Voltaire, à cette grande sensibilité une solidité nerveuse extraordinaire, est exposé à un état perpétuel de malaise. Schiller aussi était constamment malade. Lorsque je fis sa connaissance, je crus qu’il n’avait pas quatre semaines à vivre. Mais il y avait en lui assez de force résistante, aussi il a pu se maintenir un assez grand nombre d’années et il se serait soutenu encore plus longtemps avec une manière de vivre plus saine. »

Nous parlâmes d’une représentation du théâtre, et à propos d’un rôle, Goethe dit : « J’ai vu Unzelmann dans ce rôle, il y plaisait parce qu’il savait nous communiquer la grande aisance de son esprit, car il en est de l’art