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« La discussion sur Raphaël et Michel-Ange était à l’ordre du jour ; tous les jours elle recommençait partout où se trouvaient des artistes de chaque parti. Elle avait l’habitude de s’engager dans une osteria, où l’on buvait de bon vin peu cher ; on citait des tableaux, certaines parties de tableaux, et quand il y avait contradiction du parti opposé, pour le convaincre il fallait aller voir les tableaux eux-mêmes. Alors, tout en discutant, on quittait l’osteria, on allait à grands pas à la chapelle Sixtine, dont un cordonnier gardait la porte, qu’il ouvrait pour quatre groschen. — Là, devant les tableaux, avaient lieu les démonstrations, et quand on avait assez disputé, on retournait à l’osteria, pour se réconcilier avec une bouteille de vin et oublier toutes les controverses. C’est ainsi que se passait chaque journée, et maintes fois le cordonnier de la chapelle Sixtine a reçu ses quatre groschen. — On rappela aussi un autre cordonnier qui avait l’habitude de taper son cuir sur une tête antique de marbre. « C’était le portrait d’un empereur romain, dit Meyer ; l’antique était devant sa porte, et très-souvent en passant nous le vîmes occupé à ce louable travail. »

Mercredi, 15 avril 1829.

Nous parlâmes des personnes qui, sans un vrai talent, sont appelées à produire, et de celles qui écrivent sur ce qu’elles ne comprennent pas. — « Voici ce qui perd les jeunes gens, dit Goethe. Nous vivons dans un temps où il y a tant de culture répandue qu’elle s’est pour ainsi dire mêlée à l’atmosphère qu’un jeune homme respire. Il sent vivre et s’éveiller en lui les pensées poétiques et philosophiques ; il les a bues avec l’air qui l’entoure, mais il s’imagine qu’elles lui appartiennent, et il les