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Il regarde autour de lui et s’approprie ce qui peut servir à nourrir ses idées propres. Claude Lorrain, sans nul doute, doit à l’école des Carrache autant qu’à ses maîtres proprement dits. On dit habituellement : Jules Romain était un élève de Raphaël, mais on pourrait aussi bien dire : il était élève du siècle. Guido Reni[1] seul a eu un élève qui avait pris si bien l’esprit, l’âme et l’art de son maître, qu’il fut presque lui-même et fit les mêmes choses, mais c’est là un cas spécial qui ne se répète guère. Au contraire l’école des Carrache était indépendante ; elle développait dans chaque talent les qualités propres qu’il possédait en lui, et les maîtres qui en sortirent ne se ressemblèrent pas entre eux. Les Carrache étaient pour ainsi dire nés professeurs de l’art ; ils tombèrent dans un temps où déjà dans toutes les branches les plus belles œuvres étaient faites, et ils purent ainsi montrer à leurs élèves des modèles en tout genre. Ils étaient grands professeurs, grands artistes, mais je ne pourrais pas leur reconnaître ce qu’on nomme proprement l’esprit. Je suis un peu hardi de parler ainsi, mais c’est là l’impression que je reçois d’eux. »

Après avoir considéré quelques paysages de Claude Lorrain, j’ouvris un dictionnaire artistique pour voir ce que l’on disait de ce grand maître. Nous trouvâmes cette phrase : « Son mérite saillant était dans sa palette. » Nous nous regardâmes et nous mîmes à rire. — « Vous voyez, dit Goethe, ce qu’on peut apprendre quand on s’en tient aux livres et qu’on veut garder pour soi ce qui est écrit ! »

  1. Eckermann n’a-t-il pas, dans ses notes, confondu Guide Reni avec Léonard de Vinci, qui a eu pour élève et habile imitateur Luini ?