Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est vraiment un joli talent, mais son nouveau poëme manque de la vraie base d’un poëme, la base de la réalité. Les paysages, les levers et couchers de soleil, tous les passages où il peint les parties du monde extérieur qu’il a vues, sont parfaits ; on ne pourrait mieux faire. Mais ce qui a existé dans les siècles passés, ce qui appartient à la tradition, ne lui a pas apparu dans sa juste vérité, et son récit manque de sa vraie substance. La vie, les actions des Amazones sont peintes par des généralités que les jeunes gens croient poétiques, romantiques, et qui passent en effet pour telles dans le monde de l’esthétique. »

« — C’est là le défaut de toute la littérature actuelle, dis-je. On fuit le détail spécial, on craint qu’il ne soit pas poétique, et on tombe alors dans le lieu commun. »

« — Egon Ebert, dit Goethe, aurait dû se tenir de près à la chronique, et son poëme aurait eu de la valeur. — Quand je pense combien Schiller étudiait les récits de l’histoire, avec quel soin il a étudié la Suisse, quand il a écrit Tell ; et comme Shakspeare a tiré parti des chroniques, insérant dans ses pièces des passages entiers mot pour mot, je crois qu’on peut bien demander la même chose à un jeune poëte de nos jours. Dans mon Clavijo j’ai mis des passages entiers des Mémoires de Beaumarchais. » — « Mais on ne s’en aperçoit pas, dis-je, vous avez retravaillé ces passages ; ils ne sont pas transportés bruts. » — « C’est bien ainsi qu’il faut s’en servir et c’est ainsi qu’il faut faire, » dit-il.

Il me raconta alors quelques traits sur Beaumarchais. — « C’était un drôle de chrétien, dit-il ; il faut que vous lisiez ses Mémoires. — Les procès étaient son élément ; c’est là qu’il se sentait bien. Les plaidoyers de ses avocats dans un de ses procès existent encore, et ils sont au