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écrivains une langue toute faite qui résonne et rime pour lui, et il croit que c’est lui-même qui parle.

« — Vous avez parfaitement raison, dit Goethe ; je considère cette poésie comme très-faible ; il n’y a pas trace de contemplation du monde extérieur, c’est purement intellectuel, et même ce n’est pas pensé comme il le fallait. »

« — Pour faire une bonne poésie, dis-je, il faut avoir amassé de grandes connaissances sur le sujet dont on parle, car celui qui n’a pas, comme Claude Lorrain, un monde à sa disposition, fera rarement quelque chose de bon, en dépit des idées les meilleures. »

« — Et ce qu’il y a de particulier, dit Gœthe, c’est que le talent inné seul sait juste deviner ce qu’il faut dire ; tous les autres se trompent plus ou moins. »

« — C’est ce que montrent les faiseurs d’esthétique, dis-je ; aucun presque ne sait ce qu’il faut vraiment enseigner, et ils embrouillent tout à fait les jeunes poètes. Au lieu de parler de la réalité, ils parlent de l’idéal, et au lieu de donner des indications au poète sur ce qu’il ne possède pas, ils l’égarent sur ce qu’il possède. Si quelqu’un est né avec un peu d’esprit, de fantaisie, et d’humour, il déploiera surtout ses dons s’il ignore qu’il les possède. S’il lit les livres célèbres qui traitent de ces hautes qualités, immédiatement il est gêné et entravé dans l’usage innocent de ses forces ; la conscience qu’il en a le paralyse, et au lieu d’être excité, il est absolument arrêté. »

« Vous avez parfaitement raison, et il y aurait bien à dire sur ce chapitre. J’ai lu, continua-t-il, le nouveau poème épique d’Egon Ebert ; il faut que vous le lisiez aussi, nous pourrons peut-être d’ici l’aider un peu.