Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos yeux. Ce qui distingue Napoléon parmi les grands hommes, c’est qu’à toute heure il était toujours le même. Avant une bataille, pendant une bataille, après une victoire, après une défaite, il était toujours debout sur ses pieds, toujours lucide, sachant toujours clairement ce qu’il devait faire. Il était toujours dans son élément, toujours prêt pour toute circonstance, de même que Hummel est toujours prêt, qu’il s’agisse d’un adagio ou d’un allegro, qu’il joue la basse ou le chant. C’est là la facilité, qui se trouve partout où il y a un vrai talent, dans les arts de la paix comme dans les arts de la guerre, au piano comme derrière les canons.

Dans le livre de Bourrienne on voit combien on nous a fait de contes sur l’expédition d’Égypte. Beaucoup de choses, il est vrai, sont confirmées, mais beaucoup d’autres ne le sont pas, et la plupart des faits ont été mal racontés. — Il est vrai que Bonaparte a fait fusiller huit cents prisonniers turcs, mais ce fut la décision mûrement pesée d’un conseil de guerre qui, d’après toutes les circonstances, avait jugé qu’il était impossible de les sauver. — Sa descente dans les Pyramides : conte. Il est très-gentiment resté en dehors, et s’est fait raconter par les autres ce qu’ils avaient vu. — Ce qu’on dit sur son adoption du costume oriental doit être corrigé. Il n’a joué cette mascarade qu’une fois, chez lui, et il a paru seulement au milieu de ses amis, pour voir comment ce costume lui allait. Mais le turban ne lui allait pas, ainsi qu’à tous ceux qui ont la tête allongée, et il n’a jamais repris ce costume. — Il a vraiment visité les pestiférés, pour montrer par un exemple que l’on peut triompher de la peste quand on est capable de triompher de la crainte. Et il a raison ! Je peux raconter un fait semblable de ma