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Gœthe. Ils causaient sur l’art et parlaient de Peel, qui a acheté un Claude Lorrain 4 000 livres, ce qui le met très-haut dans la faveur de Meyer. On apporta les journaux et nous nous les partageâmes en attendant la soupe. — L’émancipation des Irlandais était à l’ordre du jour, nous en parlâmes bientôt. Goethe dit : « Cet événement est instructif en ce sens qu’il amène au jour des choses dont sans cela on n’aurait jamais dit un mot. Nous ne connaîtrons pas clairement l’état de l’Irlande, c’est une question trop complexe. Ce que l’on voit, c’est que ce pays souffre des maux qui ne peuvent être guéris par aucun moyen et qui ne le seront pas, en conséquence, par l’émancipation. S’il était malheureux de voir l’Irlande souffrir seule, il est malheureux aujourd’hui de voir l’Angleterre entraînée dans sa souffrance. Voilà la question. — Quant aux catholiques, il ne faut pas du tout se fier à eux. On voit dans quelle situation fâcheuse se trouvaient en Irlande les deux millions de protestants en face des cinq millions de catholiques et comme de pauvres fermiers protestants ont été opprimés, chicanés, tourmentés, quand ils étaient entourés de voisins catholiques. Les catholiques ne se supportent pas entre eux, mais quand il s’agit de marcher contre un protestant, ils sont tous d’accord. Ils ressemblent à une meute de chiens qui se mordent entre eux, mais qui, dès qu’un cerf apparaît, se réunissent tous et se lancent d’un même élan contre lui. »

De l’Irlande la conversation passa aux affaires de Turquie. On s’étonna que les Russes, avec toute leur supériorité, n’aient pas avancé davantage dans la campagne précédente. — « Le motif, dit Goethe, c’est que les moyens employés étaient insuffisants ; on a par suite trop exigé