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tion d’étudiants de la Wartbourg[1], les sottises comme les bonnes choses. Et la bigarrure de notre littérature, la maladie d’originalité de nos poëtes, cette croyance de chacun, qu’il doit ouvrir une nouvelle route ; la vie séparée, isolée de nos savants, vie dans laquelle chacun d’eux n’existe que pour lui-même et ne voit tout que d’après son point de vue propre, tout vient de là. Les Français et les Anglais, au contraire, sont bien plus unis et se règlent bien plus les uns sur les autres. Dans les vêtements, dans la manière d’être ils ont tous quelque chose d’uniforme. Ils craindraient autrement d’attirer l’attention ou de se rendre ridicules. Mais, en Allemagne, chacun n’en fait qu’à sa tête, chacun ne cherche que sa propre approbation, sans s’inquiéter des autres, car en l’âme de chacun, comme Guizot l’a bien vu, vit l’idée de la liberté individuelle, idée d’où sont sortis, je le répète, et beaucoup de bien et beaucoup d’absurdités. »

Mardi, 7 avril 1829.

Je trouvai en entrant le conseiller aulique Meyer[2] avec

  1. En 1817, lors de l’anniversaire de la publication des propositions de Luther (1617). On avait brûlé tous les écrits considérés comme opposés au vieil esprit germanique, fier, libre et pur. Cette conspiration libérale, en avortant, eut pour unique résultat de fortifier le pouvoir absolu.
  2. Le lecteur a déjà remarqué que les noms que cite Eckermann sont presque toujours escortés de leur titre, quelque long qu’il soit. C’est l’usage invariable en Allemagne. Ne pas s’y conformer serait une impolitesse grave. Goethe était pour tout le monde, à Weimar, M. le Conseiller intime ; Schiller était : M. le Conseiller aulique. Ce dernier titre produit un effet singulier, rapproché du nom de Schiller, et la France semblait avoir donné à l’auteur de Fiesque un titre plus en harmonie avec son génie, en faisant de lui un citoyen. Nous ne sommes pas moins surpris du nom d’Excellence, donné constamment à Goethe dans les relations de la vie privée. Il faut nous rappeler que la France est presque le seul pays en Europe où l’esprit d’égalité ait fait disparaître ces usages ; ils nous paraissent très-surannés et un peu ridicules ; ils sont encore très-vivants à l’étranger.