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grandeur même. A-t-il fait de telle sorte que son État soit heureux à l’intérieur, considéré à l’extérieur, il peut alors paraître dans un carrosse officiel avec ses décorations, ou dans un mauvais droschky, enveloppé d’une peau d’ours, le cigare à la bouche ; tout est indifférent ; il a gagné l’affection de son peuple, et on conserve toujours le même respect pour lui. — Si, au contraire, un prince manque de grandeur personnelle et s’il ne sait pas, par ses bienfaits, gagner l’amour des siens, alors il sera obligé de chercher un autre moyen d’union, et il n’y en a pas de meilleur et de plus efficace que la religion, la jouissance et l’usage commun des mêmes pratiques. Paraître tous les dimanches à la messe, regarder de la tribune la paroisse et s’en laisser voir pendant une petite heure, voilà un excellent moyen de popularité que l’on pourrait indiquer à tout jeune souverain et que Napoléon lui-même, malgré toute sa grandeur personnelle, n’a pas dédaigné. »

Nous revînmes aux catholiques, à l’influence énorme des prêtres et à leur action cachée. On raconta qu’un jeune écrivain, à Hanau, avait dernièrement parlé un peu gaiement du rosaire dans un journal qu’il publiait. Ce journal aussitôt était tombé, et cela par l’influence que les prêtres exerçaient dans leurs différentes communes. Goethe dit : « De très-bonne heure on avait publié à Milan une traduction italienne de mon Werther. Fort peu de temps après on ne voyait plus un seul exemplaire de l’édition. L’évêque, sans rien dire, l’avait fait acheter tout entière par les prêtres dans chaque paroisse. Je n’en fus pas tourmenté, au contraire, j’admirai cet homme prudent qui avait vu tout de suite que Werther était un livre mauvais pour des catholiques, et je dus le louer