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fenêtre. Je m’avançai vers lui et lui pressai la main, car malgré sa gronderie, je l’aimais ; je sentais aussi que la raison était de mon côté et que c’était lui souffrait dans cette discussion.

Cela ne dura pas longtemps ; bientôt nous parlâmes de nouveau avec gaieté sur différents sujets ; cependant, quand en m’en allant je lui dis que je lui donnerais mes observations par écrit, et que c’était seulement à cause du peu d’habileté de mon langage qu’il ne m’avait pas donné raison, il ne put pas s’empêcher, sur le seuil, de me jeter encore, moitié riant, moitié se moquant, quelques mots sur les hérétiques et sur l’hérésie.

Si l’on se demande pourquoi Goethe ne supportait pas volontiers la contradiction sur sa Théorie des couleurs, tandis que pour ses œuvres poétiques il se montrait toujours on ne peut plus facile et acceptait avec reconnaissance toute observation fondée, on trouvera peut-être l’explication du problème en pensant que son talent comme poëte avait été partout pleinement reconnu, tandis que pour sa Théorie des couleurs, la plus grande et la plus difficile de ses œuvres, il n’avait rencontré partout que blâme et contradiction. Pendant la moitié de son existence il n’entendit de toutes parts résonner à ses oreilles qu’une éternelle protestation, et il était alors assez naturel qu’il se tînt toujours dans un état de défense armée, prêt à repousser une opposition passionnée. Il en était de Goethe, avec sa Théorie des couleurs, comme d’une bonne mère qui aime d’autant plus un excellent enfant qu’il est moins bien accueilli ailleurs. — « Je ne fais pas trop de cas de tout ce que j’ai produit comme poëte, disait-il souvent ; d’excellents poëtes ont vécu en même temps que moi, de plus grands que moi ont vécu avant