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de suite ce billet, me dit-il en le cherchant sur la table. Madame Szymanowska donne demain un concert public dans la salle de l’hôtel de ville ; il ne faut pas le manquer. » Je lui répondis que je ne ferais pas deux fois la même sottise. « On dit, ajoutai-je, qu’elle a fort bien joué. — Supérieurement. — Aussi bien que Hummel ? demandai-je. — Pensez, dit Goethe, qu’elle n’est pas seulement une grande virtuose, mais aussi et en même temps une belle femme ; tout ce qui vient d’elle a donc quelque chose de plus séduisant. Ses doigts ont une agilité étonnante. — A-t-elle aussi de l’énergie ? demandai-je. — Oui certes, elle a de l’énergie, et c’est là même ce qu’il y a de plus remarquable en elle, car c’est ce qui manque généralement aux femmes. » — À ce moment le secrétaire de Goethe, M. Krœuter, entra pour lui parler d’affaires concernant la bibliothèque. Après son départ, Goethe vanta son mérite et son soin. Ayant amené la conversation sur le manuscrit du voyage en Suisse qu’il m’avait communiqué, je lui rappelai combien il s’était alors occupé avec Meyer des sujets traités par les beaux-arts. « Mais en effet, dit Goethe, qu’y a-t-il de plus important que le choix du sujet ; toutes les théories sur les arts ne sont rien en comparaison. — Si le sujet ne vaut rien, l’emploi du talent est absolument perdu. Et c’est justement parce que l’art moderne manque de sujets qu’il végète. C’est là notre malheur à tous, et moi comme les autres je suis bien par là marqué de l’empreinte moderne. — Bien peu d’artistes ont là-dessus des idées claires et savent ce qui leur conviendrait. Par exemple, on a fait un tableau de mon Pêcheur, sans réfléchir que rien ne prête moins à la peinture. Ce qui est exprimé dans cette ballade, c’est la sensation des