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ne sont ; tout ce qui se passe sur la mer d’Orient, tout ce qui se rapporte à ces contrées est traité en maître. Mais ce ne sont là que de beaux passages ; l’ensemble ne plaira à personne. Et cependant que de peines, que de forces ont été consumées ! Il s’y est presque épuisé. Maintenant le voilà qui fait une tragédie ! » Goethe sourit et resta un instant à réfléchir. Je pris la parole, et dis qu’il me semblait que dans son journal l’Art et l’Antiquité il avait conseillé à Hagen de ne traiter que de petits sujets. « Certainement, répliqua Goethe, mais est-ce que l’on fait ce que nous autres vieillards nous disons ? Chacun croit qu’il doit connaître cela mieux que personne, et c’est ainsi que maint esprit se perd et que maint autre erre longtemps. Cependant le temps d’errer est passé ; c’était à nous, vieillards, d’errer ; à quoi auraient donc servi nos recherches et nos erreurs à nous tous, si vous, jeunes gens, vous voulez courir dans les mêmes routes. Alors nous n’avancerions jamais ! On doit à nous, les anciens, nous pardonner l’erreur, car nous ne trouvions pas les chemins tracés ; mais à qui vient plus tard dans le monde on demande davantage ; il ne doit pas de nouveau se tromper et chercher ; il doit mettre à profit le conseil des vieillards et tout de suite s’avancer sur la bonne voie. Ce n’est pas assez de faire des pas qui doivent un jour conduire au but, chaque pas doit être lui-même un but en même temps qu’il nous porte en avant.

« Méditez donc un peu ces paroles, et voyez ce que vous en pensez. Je ne suis pas, à vrai dire, inquiet sur vous ; mais peut-être ce que je vous dis vous aidera-t-il à sortir rapidement d’une période dans laquelle vous ne devez pas maintenant vous attarder. Ainsi, comme je vous le dis, les petits sujets poétiques que chaque jour