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nable. Si quelques erreurs se sont glissées dans leurs théories et s’y maintiennent, la cause, c’est que les savants ont reçu ces erreurs comme des dogmes au temps où ils étaient encore sur les bancs de l’école.

— Oui, c’est cela même, s’écria Gœthe. Vos savants agissent comme nos relieurs de Weimar. Le chef-d’œuvre qu’on leur demande pour être reçu dans la corporation n’est pas du tout une jolie reliure dans le goût le plus moderne. Non, pas du tout ! Il faut qu’ils produisent encore une grosse Bible in-folio à la mode d’il y a deux ou trois siècles, avec d’épaisses couvertures en gros cuir. Ce travail est absurde, mais les pauvres artisans s’en trouveraient mal s’ils voulaient prouver que leurs examinateurs sont des niais. »

Weimar, mardi, 10 juin 1823[1].

Je suis arrivé ici depuis peu de jours, et aujourd’hui, pour la première fois, je suis allé chez Goethe. L’accueil a été extrêmement affectueux, et l’impression que sa personne a faite sur moi a été telle, que je compte ce jour parmi les plus heureux de ma vie.

Il m’avait hier, sur ma demande, indiqué midi comme le moment où il pourrait me recevoir. J’allai à l’heure dite, et trouvai son domestique m’attendant déjà et prêt à m’introduire. L’intérieur de sa maison me fit une très-agréable impression ; sans être riche, tout a beaucoup de noblesse et de simplicité ; quelques plâtres de statues antiques placés dans l’escalier rappellent le goût prononcé de Goethe pour l’art plastique et pour l’antiquité grecque. Je vis au rez-de-chaussée plusieurs femmes occupées dans

  1. Ici commence le récit d’Eckermann.