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nature. Oui, là est écrit un document de l’histoire primitive du monde. — Cette filiation, il vous faut la découvrir seul. Si on ne la découvre pas soi-même, il est inutile de l’apprendre d’un autre. — Nos naturalistes aiment les longues listes. Ils partagent la terre en une infinité de sections, et pour chaque section ils ont un nom. Ceci est de l’argile ! Cela est du silice ! Ceci est ceci, et cela est cela ! Quand je sais tous ces noms, qu’est-ce que j’ai gagné ? Quand j’entends tous ces mots, je me rappelle toujours les vers de Faust[1] : « Ils nomment la chimie Encheiresin Naturæ ! Les ânes se bafouent eux-mêmes et ne s’en aperçoivent pas. » « Que me font toutes ces sections, tous ces noms ! Ce que je veux connaître, c’est ce qui, dans l’univers, anime chaque élément, de telle sorte qu’il cherche les autres, se soumet à eux, ou les domine, suivant que la loi qu’il a en lui le destine à un rôle plus ou moins élevé. — Mais sur cette question précisément règne le plus profond silence.

Dans les sciences, tout est trop séparé. Dans nos chaires, pendant des semestres entiers, on fait des leçons sur une branche spéciale, violemment séparée de tout ce qui l’avoisine. Aussi, les découvertes positives paraissent pauvres, quand on jette un coup d’œil sur les derniers siècles. On répète presque uniquement ce que d’illustres prédécesseurs ont dit ; quant à une science indépendante, on n’y pense pas. On conduit par bandes les jeunes gens dans des salles, dans des amphithéâtres, et, dans la disette de faits positifs, on les nourrit de citations et de mots[2]. Les écoliers aviseront

  1. Faust, acte Ier, scène de Méphistophélès et de l’Étudiant.
  2. Cette critique a heureusement vieilli ; l’enseignement a fait des progrès, mais les conseils qui accompagnent la critique sont toujours bons à recevoir.