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montagnes, ou en face d’un rocher immense, alors, devant cette muette gravité, devant ce silence de la nature, on se sent saisi d’effroi…

« Tenez, me dit-il, en me montrant le papier sur la table, j’ai tracé là toutes sortes de plantes et de fleurs assez singulières ; ces chimères pourraient être encore plus folles, plus fantastiques, rien n’assurerait qu’elles n’existent pas réellement ainsi quelque part.

« Lorsqu’elle trace un dessin, l’âme fait résonner au dehors d’elle un fragment de son essence intime, et dans ce babillage sont renfermés les plus grands secrets de la création ; car celle-ci, considérée dans ses principes, repose tout entière sur le dessin, sur la plastique. Les combinaisons de ce genre sont si infinies, que même la fantaisie et le caprice y ont trouvé place. Prenons seulement les plantes parasites ; dans ces créations si légères, que de formes fantastiques, bouffonnes, qui rappellent l’oiseau ! leur graine volante se pose sur tel ou tel arbre, comme un papillon ; elle se nourrit de cet arbre pour grandir. La glu, ou viscus, se sème et pousse ainsi sur l’écorce du poirier, où elle forme d’abord une petite touffe ; cet hôte, non content de s’appuyer sur l’arbre et de l’enlacer, exige qu’il lui fournisse le bois de ses rameaux. — Il en est de même pour la mousse qui couvre les arbres. J’ai de beaux échantillons de ces familles, qui, dans la nature, ne font rien par elles-mêmes, mais s’approprient les produits déjà existants. Faites-moi penser à vous les montrer. L’arôme de certains arbrisseaux, qui appartiennent aussi à la famille des parasites, s’explique très-bien par la constitution intime de leur sève ; elle est de bonne heure plus avancée qu’elle ne devrait l’être ; ces plantes, au lieu de se