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Zelter, qui doit repartir pour Berlin cette nuit même. On a beaucoup parlé de Hamann[1] ; c’est surtout Hegel qui a tenu la parole, et il a exposé sur cet homme extraordinaire de ces vues profondes qui ne peuvent naître que de l’étude la plus sérieuse et la plus consciencieuse d’un sujet. — On a ensuite parlé sur la dialectique. « Au fond, a dit Hegel, la dialectique n’est rien de plus que la régularisation et le perfectionnement méthodique de cet esprit de contradiction qui est au fond de chaque homme ; ce don montre sa grandeur dans la distinction du vrai d’avec le faux. »

« — Oui, dit Goethe, mais il faudrait seulement que ces artifices et ces habiletés de l’esprit ne fussent pas fréquemment tournés en abus et employés à faire paraître vrai le faux et faux le vrai. »

« — Cela arrive bien, répondit Hegel, mais seulement chez les gens qui ont à l’esprit une infirmité. »

« — Aussi, dit Goethe, je me félicite d’avoir étudié la nature, qui empêche ces infirmités de naître. Car, avec elle, nous avons à faire à la vérité infinie, éternelle, et elle rejette aussitôt comme incapable tout homme qui n’observe pas et n’agit pas toujours avec une scrupuleuse pureté. — Je suis sûr que plus d’un esprit chez lequel la faculté dialectique est malade trouverait un traitement salutaire dans l’étude de la nature. »

Nous étions encore occupés gaiement à la conversation la plus intéressante, quand Zelter se leva et sortit sans dire un mot. Nous savions que prendre congé de Goethe lui était pénible, et son affection même le force à

  1. Le Mage du Nord, un des grands précurseurs de l’âge d’or de la littérature allemande ; écrivain très-obscur, mais très-riche en grandes idées.