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cusa de n’avoir rien de prêt ; mais elle nous dit qu’elle pouvait nous donner une soupe et un bon poisson[1]. Pendant qu’on préparait notre repas, nous allâmes nous promener au soleil sur le pont, et, pour nous distraire, nous regardâmes les trains de bois qui passaient de temps en temps sous le pont ; les mariniers, tout couverts d’eau, se livraient à leur fatigant travail, au milieu de cris joyeux.

Nous mangeâmes notre poisson en plein air, puis, quand il fut fini, nous restâmes assis pour boire encore une bouteille de vin tout en causant. Près de nous passa un petit faucon qui par son vol et sa forme avait grande ressemblance avec le coucou. « Il y a eu un temps, dit Goethe, où l’étude de l’histoire naturelle était encore si peu avancée que l’on croyait généralement que le coucou était un coucou seulement l’été, et que l’hiver il devenait un oiseau de l’ordre des rapaces. »

« — Cette opinion existe encore aujourd’hui dans le peuple, dis-je, et même on va jusqu’à dire que ce brave oiseau, quand il est grand, mange ses parents, et son nom est un symbole d’odieuse ingratitude. Je sais, dans ce moment-ci même, des gens qui ne veulent pas renoncer à ces absurdités et qui y tiennent autant qu’à n’importe quel article de leur foi de chrétien. »

« — Le coucou, je crois, est rangé dans la classe des grimpeurs, » dit Goethe.

« — Oui, assez souvent, parce que deux doigts de ses faibles pieds sont dirigés en arrière. Mais ce n’est pas

  1. Les amis de Goethe qui voudraient sur ses traces faire cette même promenade, ou les touristes curieux de visiter le champ de bataille d’Iéna, trouveront encore sur les bords pittoresques de la Saale l’auberge ici décrite, et l’hôtesse, je le sais par expérience, leur offrira, comme à Goethe, « un bon poisson » pêché sous leurs yeux.