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voir, mais de n’avoir pas été déçu dans ma foi à une influence invisible. »

J’aurais encore écouté Goethe pendant des heures ; il semblait disposé à montrer toute la tendresse qui vit dans son cœur, mais peu à peu la fatigue sembla le dominer, et nous nous couchâmes de très-bonne heure dans notre alcôve.

Le lendemain, nous étions levés de bon matin. En s’habillant, Goethe me raconta un rêve de sa nuit. Il s’était vu transporté à Gœttingue, et avait eu avec les professeurs qu’il y connaît toute sorte d’entretiens agréables. Nous bûmes quelques tasses de café et allâmes visiter le cabinet anatomique ; nous vîmes des squelettes d’animaux, entre autres d’animaux antédiluviens, et des squelettes d’hommes des siècles passés. Goethe observa que la forme des dents montre que ces squelettes appartenaient à une race d’une grande moralité. Nous allâmes ensuite à l’observatoire, et le docteur Schrœn nous montra de beaux instruments dont il nous expliqua l’usage. Nous visitâmes aussi avec grand intérêt le cabinet météorologique, et Goethe loua beaucoup le docteur Schrœn de l’ordre qui régnait partout. Puis nous descendîmes dans le jardin ; Goethe avait fait disposer un petit déjeuner dans un berceau sur une table de pierre. « Vous ne savez guère, me dit-il, à quelle place curieuse nous nous trouvons en ce moment. Ici a habité Schiller. Sous ce berceau, à cette table de pierre, assis sur ces bancs maintenant presque brisés, nous avons souvent pris nos repas, en échangeant de grandes et bonnes paroles. Il avait alors trente ans, moi, quarante ; tous deux encore dans notre plein essor ; c’était quelque chose ! Tout cela passe, et s’en va, car moi aussi je ne suis plus aujourd’hui celui que j’étais