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comment se sauver assez vite[1]. — Je vous disais que nos natures étaient différentes ; cela était vrai, non-seulement au point de vue intellectuel, mais au point de vue physique. Une odeur qui faisait du bien à Schiller me semblait un poison. Un jour, je vais chez lui ; il n’était pas là, sa femme me dit qu’il allait rentrer bientôt ; je m’assieds à sa table de travail, pour prendre quelques notes. J’étais assis depuis quelques instants, lorsque je me sentis je ne sais quel malaise qui augmenta jusqu’à ce qu’enfin je fusse sur le point de me trouver mal. Je ne savais à quoi attribuer cet état extraordinaire, quand je remarquai que d’un tiroir près de moi sortait une détestable odeur. Je l’ouvris, et je le trouvai rempli de pommes pourries. — J’allai aussitôt à une fenêtre, et un peu d’air me remit à mon aise. La femme de Schiller, qui entrait, me dit alors que ce tiroir devait toujours être plein de pommes pourries, parce que leur odeur plaisait à Schiller et qu’il ne pouvait vivre et travailler sans elle.

« Demain matin, je vous montrerai aussi la maison que Schiller a habitée à Iéna. »

On apporta de la lumière, nous soupâmes un peu, et

  1. « Un jour, je me trouvais chez Schiller, on frappe. Schiller fit un saut et ouvrit la porte. La personne qui se présentait était un jeune chirurgien de Berlin, fort convenable, qui lui demanda s’il pouvait avoir le grand honneur et le plaisir d’être reçu par le célèbre Schiller. Schiller lui répondit brusquement : « Je suis Schiller, aujourd’hui vous ne pouvez lui parler ; » et, poussant l’étranger, il lui ferma la porte au nez » Correspondance et Conversations avec Goethe, par Grimer (page 114). Ce petit livre, publié en 1853, n’ajoute que fort peu de chose à ce qu’Eckermann nous apprend. On y trouve surtout des preuves nouvelles et multipliées de la passion de Goethe pour les études minéralogiques. Grüner n’avait d’autre mérite que d’être grand amateur de minéralogie ; c’est à ce titre qu’il devint le correspondant de Goethe, qui montra pour lui la bienveillance extrême qu’il aimait à témoigner, même aux esprits les plus modestes, quand ils marchaient avec activité sur une bonne voie.