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mière fois, tant l’impression qu’ils produisirent alors sur moi fut vive. Revenus à Iéna, Goethe nous fit conduire, en remontant un petit ruisseau, près d’une maison dont l’extérieur était très-ordinaire[1] « Ici, dit-il, habita Voss[2], et je veux vous introduire sur ce sol classique. » — Nous traversâmes la maison et entrâmes dans le jardin. Il était fort simplement garni, et ce n’était guère qu’un gazon planté d’arbres à fruits. « Ces arbres étaient chers à Ernestine, dit Goethe ; même ici, elle ne pouvait oublier les excellentes pommes d’Eutin ; elle me les vantait comme un fruit sans pareil. C’étaient les pommes de son enfance, voilà la raison ! — Ici, j’ai passé bien des beaux jours avec Voss et avec son excellente Ernestine, et j’ai grand plaisir à me rappeler cet ancien temps. On ne reverra pas de sitôt un homme comme Voss. Bien peu d’écrivains ont eu, sur le développement des esprits en Allemagne, une influence égale à la sienne. Tout avait en lui une saine verdeur ; aussi, ce qui le rapprochait des Grecs, ce n’étaient pas des rapports artificiels, c’était une union naturelle d’où sont sortis pour nous les fruits les plus précieux. Quand on connaît bien sa valeur, on ne sait comment honorer assez son souvenir[3].

  1. Dans les villes d’Université, une inscription indique les maisons qui ont été habitées par des professeurs illustres. Cette habitude fait d’une promenade dans les rues de Iéna, par exemple, un voyage à travers toute la littérature allemande.
  2. Auteur de Louise et de la traduction d’Homère ; mort l’année précédente à Heidelberg. Il avait été vingt-trois ans professeur à Eutin près de Lubeck. Il s’y était marié avec Ernestine Boie, femme de grand mérite qui tient une place distinguée dans l’histoire de la littérature allemande. Quand Voss vint à Iéna en 1802, Goethe fut enchanté, et il l’accueillit en frère. Il sentait en lui un allié précieux pour défendre l’Allemagne contre les excès du romantisme, qui naissait alors, et qui allait bientôt devenir envahissant.
  3. Comparer H. Heine, de l’Allemagne, tome Ier p. 218.