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regardé est modifié par la personne qui regarde. Une vue faible augmente l’opacité de l’air, une vue perçante la fait disparaître ou du moins la diminue. »

« — Votre observation est parfaitement juste ; car avec une bonne lunette on peut même faire évanouir les teintes bleues des montagnes les plus éloignées. Oui, dans tous les phénomènes, le sujet actif est plus important qu’on ne pense. Déjà Wieland le savait bien, lui qui disait toujours : « On pourrait bien amuser les gens, mais s’ils étaient amusables ! »

À quelque distance, Goethe fit arrêter la voiture : « Nous allons descendre, me dit-il, et voir si un petit déjeuner en plein air nous paraîtra agréable. » — Le domestique mit une serviette sur un de ces tas de pierres réguliers que l’on trouve le long des routes ; il alla chercher dans la voiture la corbeille de jonc, et mit sur la table des petits pains blancs tendres, des perdrix rôties et des concombres saumurés. Goethe découpa une perdrix et m’en donna une moitié. Je mangeai debout ou en me promenant ; Goethe s’était assis sur le coin d’un des tas de pierres. Cette pierre froide, encore humide de la rosée de la nuit, ne me semblait pas être un bon siège, et je le dis à Goethe. Mais il m’assura que cela ne lui faisait rien du tout, et, tranquillisé, je vis dans ces assurances un nouveau signe de la vigueur qu’il sentait en lui. Le domestique avait aussi apporté de la voiture une bouteille de vin, et il nous versa à boire. « Notre ami Schütze, dit Goethe, n’a pas tort de faire chaque semaine une excursion à la campagne ; nous suivrons son exemple, et, si le temps se maintient, ce ne sera pas là notre dernière partie. »

Je passai ainsi avec Goethe une intéressante journée.