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ment évité ce défaut ; mais, comme historien, il a eu un trop grand respect de la réalité. Cela le tourmentait déjà dans ses œuvres dramatiques, et il sort de la difficulté en ajoutant sous la forme de notes le superflu de sa matière historique. Dans la circonstance présente il n’a pas su se tirer d’affaire, et n’a pas pu se séparer de ses matériaux. C’est très-curieux. Mais cependant, dès que les personnages du roman reviennent, le poète reparait dans toute sa gloire, et il nous force à lui rendre notre admiration habituelle. On ne conçoit guère comment un poëte comme Manzoni, qui peut disposer une aussi belle composition, a pu, ne fut-ce qu’un instant, pécher contre la poésie. Cependant la chose est simple, et voici comment elle s’est passée : Manzoni, de même que Schiller, est né poëte. Mais notre temps est si déplorable, que le poëte, dans la vie des hommes qui l’entourent, ne trouve plus de nature qu’il puisse mettre en œuvre. Pour se relever, Schiller a saisi deux grands secours, la philosophie et l’histoire ; Manzoni, l’histoire seule. Le Wallenstein de Schiller est si beau, qu’il n’y a pas en ce genre une œuvre égale ; cependant la philosophie et l’histoire nuisent à certaines parties et empêchent qu’il ne soit, comme poème, tout à fait réussi. Manzoni de même a eu à souffrir d’un excès d’histoire. »

« Votre Excellence exprime là de belles pensées que j’écoute avec bonheur, » dis-je alors.

« C’est Manzoni qui nous les donne, » me répondit Goethe.

Mercredi, 25 juillet 1827.

Goethe a reçu ces jours-ci de Walter Scott une lettre qui lui a fait un grand plaisir. Il me l’a montrée aujourd’hui, et, comme l’écriture anglaise lui semblait assez illisible, il