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manqueraient à un protestant. Troisièmement, il a beaucoup souffert dans les luttes révolutionnaires ; car, sans s’y mêler personnellement, il a vu frapper ses amis, et quelques-uns se perdre. Enfin, chose encore favorable au roman, l’action se passe dans les ravissants environs du lac de Côme, que le poète connaît dès son enfance, dont tous les spectacles lui sont familiers, qu’il sait par cœur ; aussi tous les lieux où se passent les scènes sont décrits avec un détail et une clarté admirables, et c’est là un des grands mérites de l’ouvrage. »

Lundi, 23 juillet 1827.

Quand j’allai ce soir vers huit heures chez Goethe, on me dit qu’il n’était pas encore revenu de son jardin. J’allai au-devant de lui, et je le trouvai dans le parc, assis sur un banc sous la fraîcheur des tilleuls ; son petit-fils Wolfgang était près de lui. Goethe me fit asseoir à ses côtés, et la conversation vint aussitôt sur Manzoni. — « Je vous disais dernièrement que l’historien servait au poëte dans ce roman, mais maintenant, dans le troisième volume, je trouve que l’historien joue un mauvais tour au poëte ; M. Manzoni tout d’un coup ôte son costume de poëte et reste pendant longtemps devant nous dans la nudité d’historien. Et cela pour décrire une guerre, une famine, une peste, choses déjà désagréables par elles-mêmes, et qui deviennent insupportables dans un récit circonstancié et détaillé comme une sèche chronique. Le traducteur allemand doit tâcher de cacher ce défaut, il faut qu’il abrège et fonde les descriptions de guerre, de famine et de peste, et n’en laisse que les parties dans lesquelles sont mêlés les personnages du roman. Si Manzoni avait eu près de lui un bon conseiller pour ami, il aurait facile-