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grand avantage qui résulte d’une littérature universelle, et il se produira de plus en plus. Carlyle, dans sa Vie de Schiller, l’a jugé comme il aurait été difficile à un Allemand de le faire. Nous, en revanche, nous avons une idée très-nette de Shakspeare et de Byron, et nous savons peut-être apprécier leurs qualités mieux que les Anglais eux-mêmes. »

Mercredi, 18 juillet 1827.

Gothe, aujourd’hui, à dîner, m’a dit pour premiers mots : « J’ai à vous annoncer que le roman de Manzoni dépasse tout ce que nous connaissons en ce genre. Je ne vous dirai que ceci : Tout ce qui est intime, tout ce qui sort de l’âme du poëte, c’est la perfection même, et tout ce qui est extérieur, dessin des lieux, etc., ne reste pas d’un cheveu en arrière. Voilà, je crois, un éloge. — L’impression à la lecture, la voici : on passe de l’émotion à l’admiration, et de l’admiration à l’émotion, et on ne sort pas de là. Je ne pense pas qu’une œuvre supérieure soit possible. On voit bien dans ce roman pour la première fois ce qu’est Manzoni ; la perfection de son âme s’y montre ; elle n’avait pas eu occasion de se développer dans ses œuvres dramatiques. Tout de suite après, je veux lire le meilleur roman de Walter Scott, Waverley sans doute, que je ne connais pas encore, et je verrai comment Manzoni se tient à côté du grand écrivain anglais. Il n’est guère possible d’avoir une âme plus complètement développée que celle qui nous apparaît ici ; en la contemplant, on ressent le bonheur que donne la vue d’un fruit dans sa pleine et parfaite maturité. Et dans l’action, dans chaque tableau isolé, une clarté comparable à celle du ciel italien lui-même ! »