Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dant devant les tribunaux. Goethe et le chancelier discutèrent beaucoup sur cette affaire et sur les lois répressives de la presse. Goethe se montrait, comme toujours, aristocrate modéré ; son ami continuait aussi à défendre la cause du peuple. Goethe dit :

« Je ne suis en aucune façon inquiet des Français ; le point de vue d’où ils considèrent l’histoire du monde est si élevé, qu’il est désormais impossible chez eux d’opprimer l’esprit. Cette loi de répression n’aura qu’un effet bienfaisant ; les restrictions ne touchent d’ailleurs à rien d’essentiel, et n’empêchent que les personnalités. Une opposition qui ne rencontre pas de barrières devient plate. Les restrictions obligent à être spirituel, et c’est un grand avantage. Énoncer en face et grossièrement son opinion n’est excusable et bon que lorsqu’on a entièrement raison ; or un parti n’a jamais entièrement raison, par cela même qu’il est un parti ; voilà pourquoi le ton détourné lui convient très-bien, et en cela les Français ont toujours été de grands modèles. À mon domestique je dis simplement : « Jean, tire-moi mes bottes. » Il comprend cela ; mais, si je suis avec mon ami et si je désire qu’il me rende cet office, je ne peux pas m’exprimer si directement ; il faut que je cherche une tournure amicale, aimable, pour déterminer son affection à me servir. La

    écrit, dans la langue politique du temps : « M. de Villèle ne peut plus rester l’organe du trône sans l’avilir. » Il fut poursuivi ; dans sa défense, il disait : « Les affaires peuvent marcher avec des ministres d’une capacité médiocre ; elles marchent encore avec des ministres détestés, mais comment ? mais pour combien de temps ?… Ce qu’il y a de sûr, de positif, c’est que de tels hommes seraient maudits. Et croyez-moi, messieurs, les malédictions données aux agents du pouvoir portent malheur au pouvoir même ! Ce sont de ces sortes de coups qui dirigés vers un second étage, s’arrêtent souvent au premier !… » etc. — M. de Kératry fut acquitté »