Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

négyrique de Byron, ce n’est ni facile ni sage ; mais je ne négligerai jamais, à l’occasion, de l’honorer et de citer ses beaux passages. »

Goethe continua à parler d’Hélène : « J’avais d’abord conçu la fin d’une tout autre façon ; c’était un dénoûment fort bon, mais que je ne veux pas dire ; puis lord Byron et Missolonghi m’en ont apporté un autre, et je l’ai accepté ; mais je ne sais si vous l’avez remarqué, le chœur dans son chant de deuil sort tout à fait de son rôle ; jusque-là il a une couleur tout antique, ce sont toujours des jeunes filles qui parlent ; là, il devient tout à coup grave, exprime de hautes réflexions et dit ce que des jeunes filles n’ont jamais pensé et ne peuvent pas penser. »

« — Oui, j’avais fait cette remarque ; mais, depuis que j’ai vu le paysage de Rubens, avec sa double lumière, depuis que je conçois ce qu’est une fiction, de pareils traits ne me troublent pas. Ces petites contradictions ne sont rien, si elles sont le prix d’une grande beauté. Il fallait que ce chant fût prononcé ; il n’y a là que le chœur des jeunes filles ; que les jeunes filles le chantent donc ! »

« — Mais les critiques allemands, dit Goethe en riant, que vont-ils dire ? Auront-ils assez de liberté et d’audace pour passer là-dessus ? Quant aux Français, ils seront arrêtés par leur raison ; ils n’admettent pas que l’imagination ait ses lois, qui puissent et doivent être indépendantes de la raison. Si l’imagination ne créait pas ce qui restera éternellement douteux pour la raison, l’imagination serait peu de chose. C’est là ce qui sépare la poésie de la prose, dans laquelle la raison doit être toujours à l’aise. »

Nous étions sans lumière ; en face de nous brillait sur