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la nature humaine, l’amour du sol de la patrie, le sentiment de la liberté et de la sécurité sous la garde de lois nationales, le sentiment de honte que font éprouver la soumission constante à un débauché venu de l’étranger et parfois ses mauvais traitements, enfin l’énergie croissant peu à peu et inspirant la résolution de rejeter un joug si odieux ; toutes ces grandes et belles émotions, je les avais mises dans Walter Fürst, Stauffacher, Winkelried, etc. Ces illustres et nobles caractères étaient mes vrais héros, forces puissantes qui agissaient avec pleine conscience de leurs actions, tandis que Tell et Gessler n’entraient dans le poëme que par occasion, et n’étaient, dans l’ensemble, que des figures d’une nature passive. J’étais tout rempli de ce beau sujet, et déjà j’amassais peu à peu mes hexamètres. Je voyais le lac à la lueur paisible de la lune, et, dans les profondeurs des montagnes, brillait une brume étincelante ; je le voyais aussi le matin, sous le ravissant éclat du soleil levant ; dans les bois, dans les prairies, tout était vie et bonheur ; puis je peignais, par un temps d’orage, une tempête qui s’élance des ravins et se jette sur les eaux. Je n’avais pas oublié non plus les nuits silencieuses et les réunions secrètes sur les ponts et sur les étroits passages des précipices. — Je racontai tous mes plans à Schiller, et son esprit organisait en drame mes paysages et mes personnages. Puis, comme j’avais d’autres choses à faire, et comme l’exécution de mes projets se remettait toujours, j’abandonnai entièrement mon sujet à Schiller, qui écrivit alors son admirable poëme. »

Cette communication intéressante nous fit à tous grand plaisir. Je dis qu’il me semblait que la magnifique description du lever du soleil, écrite en tercets dans la pre-