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pour eux beaucoup plus obscure que l’ouvrage qu’elle veut éclaircir. Au contraire, M. Ampère agit tout pratiquement, tout humainement. En homme qui connaît le métier à fond, il montre la parenté de l’œuvre avec l’ouvrier, et juge les différentes productions poétiques comme des fruits différents des différentes époques de la vie du poëte. Il a fait la plus profonde étude des vicissitudes de ma carrière sur cette terre et des situations diverses de mon âme, et il a eu le talent de voir ce que je n’avais pas dit et ce qu’on ne pouvait lire pour ainsi dire qu’entre les lignes. Avec quelle justesse n’a-t-il pas remarqué que dans les dix premières années de ma vie de ministre et d’homme de cour à Weimar, je n’avais autant dire rien fait, que c’est le désespoir qui m’a poussé en Italie ; que là, pris d’un nouveau désir de produire, je saisis l’histoire du Tasse pour me délivrer, en prenant comme sujet tous les souvenirs et toutes les impressions de la vie de Weimar, qui me fatiguaient encore de leur poids accablant. Le nom de Werther renforcé[1] qu’il donne au Tasse est d’une justesse frappante. Il n’y a pas moins d’esprit dans ce qu’il dit sur le Faust, lorsqu’il montre que le dédain sarcastique et l’ironie amère de Méphistophélès sont des parties de mon propre caractère, aussi bien que la sombre activité toujours inassouvie du héros. »

Goethe parlait ainsi très-souvent de M. Ampère en le louant ; nous primes à lui un vif intérêt, nous cherchions à nous faire une idée nette de sa personne ; nous n’y réussîmes pas, mais nous fûmes tous deux d’accord pour croire que ce devait être un homme d’âge moyen, pour

  1. Cette expression n’est pas dans l’Étude de M. Ampère, mais elle résume bien un de ses développements.