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Lorsque lady Macbeth veut exciter son époux à l’action, elle dit : « J’ai allaité des enfants…, » etc. Que cela soit vrai ou non, il importe peu ; lady Macbeth parle ainsi et doit parler ainsi pour augmenter l’effet de son discours ; mais dans le cours de la pièce, lorsque Macduff apprend le désastre des siens, dans sa violente fureur il s’écrie : « Il n’a pas d’enfants !… » Ces mots sont en contradiction avec ceux de lady Macbeth. Shakspeare ne s’en est pas inquiété. Il ne cherche qu’à donner à chaque discours toute sa force, et de même que lady Macbeth, pour donner à ses paroles tout leur effet, devait dire : « J’ai allaité ses enfants, » Macduff, pour la même raison, devait dire : « Il n’a pas d’enfants ! » — En général, ce n’est pas avec tant de précision et de minutie qu’il faut examiner les coups de pinceau d’un peintre ou les mots d’un poëte ; si une œuvre d’art est sortie d’un esprit libre et hardi, il faut, pour la contempler, pour en jouir, avoir autant que possible un esprit aussi libre et aussi hardi. — Ainsi de ces paroles de Macbeth : « Ne me donne aucune fille…, » il serait insensé de vouloir conclure que lady Macbeth est une jeune femme qui n’a pas encore eu d’enfants. Et il serait aussi insensé de vouloir aller plus loin et d’exiger que lady Macbeth fût représentée sur la scène comme une toute jeune personne. Shakspeare ne fait pas du tout dire à Macbeth ces paroles pour indiquer la jeunesse de lady Macbeth ; ces paroles, comme celles de lady Macbeth et de Macduff que j’ai citées plus haut, ne sont là que par une raison oratoire, et ils ne prouvent rien, sinon que le poëte fait toujours dire à ses personnages ce qui, dans chaque situation, est le plus juste, le plus convenable, et capable de produire le plus d’effet, sans tant se tourmenter et calculer pour chercher si ces