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quelles il pouvait prouver la supériorité de sa raison. C’est en cela qu’elle s’exerce, et c’est ainsi que devraient encore faire les poëtes actuels, au lieu de demander toujours si un sujet a déjà été traité ou non ; et au lieu d’aller du sud au nord chercher des événements inouïs qui souvent sont assez barbares, et dont ils font des pièces qui n’ont de succès qu’à titre de peintures d’événements curieux. Mais aussi, faire quelque chose d’un sujet simple par la manière magistrale dont on l’a traité, cela demande de l’esprit, un grand talent, et c’est ce qui manque ! » — Nous revînmes encore à la fenêtre, attirés par un bruit de grelots, mais ce n’était pas encore le retour des traîneaux. Après avoir causé et plaisanté de choses sans importance, je demandai à Goethe où il en était avec sa Nouvelle. « Je l’ai laissé reposer ces jours-ci, me dit-il, mais il y a encore un trait à introduire dans l’exposition : le lion rugira, quand la princesse passe à cheval devant la baraque, ce qui me permettra de placer quelques bonnes réflexions sur l’épouvante que répand ce puissant animal. » — « Cette pensée est très-heureuse, dis-je ; grâce à elle, non-seulement, dans l’exposition, tout, pris en soi, est bon et nécessaire, mais aussi tout sert à donner à ce qui suit un effet plus grand. Jusqu’à présent le lion paraissait un peu trop doux, car il ne montrait aucun signe de férocité. Ce rugissement nous la fait au moins pressentir, et, lorsqu’il suivra plus tard paisiblement la flûte de l’enfant, on sera plus frappé. » — « Élever ainsi à la perfection, en ajoutant des traits nouveaux, une œuvre encore imparfaite, c’est là la vraie manière de changer et de perfectionner, dit Goethe. Mais refaire toujours et accroître ce qui est fini, comme Walter Scott l’a fait avec ma Mignon, en la ren-