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belle ! » J’exprimai à Goethe toute ma pensée, lui disant en même temps que dans son genre cette production était unique. « Je suis content, dit-il, si vous êtes satisfait, et j’ai aussi du plaisir à être enfin délivré d’un sujet que je porte partout en moi depuis trente ans. Schiller et Humboldt, à qui j’avais dans le temps communiqué mon projet, m’en ont détourné, parce qu’ils ne pouvaient pas savoir ce que l’idée renfermait : le poëte seul sait quels charmes il est capable de donner à son sujet. Aussi on ne doit jamais demander d’avis quand on veut écrire. Si Schiller, avant d’écrire son Wallenstein, m’avait demandé s’il devait l’écrire, je l’en aurais certainement détourné, car je n’aurais jamais pu penser que d’un pareil sujet on pouvait tirer une pièce aussi excellente. Schiller désapprouvait pour mon sujet l’emploi des hexamètres, que j’avais choisis alors, parce que je venais de quitter Hermann et Dorothée ; il me conseillait les stances à huit vers. Mais vous voyez bien que je suis arrivé on ne peut mieux avec la prose. Il fallait une description très-précise des lieux, et ce mètre aurait été gênant. Et puis, grâce à la prose, la Nouvelle peut avoir un commencement tout réel, et une conclusion toute idéale ; les petites chansons y entrent aussi fort bien, ce qui aurait été aussi peu possible avec les hexamètres qu’avec les stances à huit vers. »

Nous parlâmes des autres nouvelles et récits introduits dans les Années de voyage, et nous fimes la remarque que chacune se distinguait des autres par un caractère et un ton différents. « Je veux, me dit Goethe, vous expliquer d’où vient cette différence ; c’est que j’ai travaillé comme un peintre qui, dans certains sujets, évite certaines couleurs et en fait dominer d’autres. Par exemple,