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gravures excellentes, et j’en décorerais un grand salon. »

— « Cela serait très-grandiose, répondit Goethe, et cependant les exploits sont trop grands, les tableaux resteraient au-dessous. »

Le chancelier parla de l’Histoire des Allemands, par Luden[1] ; j’admirai avec quelle perspicacité et quelle facilité le jeune Goethe expliquait tous les défauts que les journaux ont reprochés à l’ouvrage par le temps où il avait été écrit, par les sentiments patriotiques et par les intentions qui animaient alors l’auteur. « Les guerres de Napoléon, dit-on, furent une clef pour celle de César. » — « Jusqu’alors, dit Goethe, le livre de César n’était guère qu’un livre d’exercices dans les écoles. »

On parla ensuite de l’âge gothique, et, à ce propos, de l’habitude moderne de disposer des appartements dans le vieux goût allemand ou dans le goût gothique, et d’habiter dans cet entourage d’un temps vieilli. Goethe dit alors : « Dans une maison qui renferme tant de chambres qu’on en laisse quelques-unes vides et qu’on n’y entre que trois ou quatre fois par an, on peut se permettre une pareille fantaisie, et on peut avoir aussi une chambre gothique, comme je trouve fort joli que madame Panckoucke[2], à Paris, en ait une chinoise. Mais garnir la chambre que l’on habite d’un pareil attirail d’ornements étrangers et vieillis, cela me paraît blâmable. C’est toujours une espèce de mascarade, qui, à la longue, ne produit à aucun point de vue de bons effets ; elle peut même, sur l’homme qui s’y laisse aller, avoir une influence nuisible. Car c’est bien là faire une opposition à

  1. Professeur d’histoire à l’Université d’Iéna. Mort en 1847.
  2. Madame Panckoucke avait traduit en français quelques poésies de Goethe. De là, sans doute, naquirent des relations entre eux.