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gion et dans un parti ; en effet, sans ces secours, leur faiblesse ne leur permettrait pas de se soutenir. — Il y a à travers l’art tout entier une filiation. Voyez-vous un grand maître, vous trouverez toujours qu’il a mis en œuvre les qualités de ses prédécesseurs, et c’est là précisément ce qui l’a rendu grand. Des hommes comme Raphaël ne se tiennent pas debout sur le sol sans racines. Il les ont dans l’antiquité et dans les chefs-d’œuvre créés avant eux. S’ils n’avaient pas recueilli toutes les qualités de leur temps, on aurait peu parlé d’eux. »

La conversation passa à l’ancienne poésie allemande ; je rappelai Flemming[1]. « Flemming, dit Goethe, est un très-joli talent, un peu prosaïque, bourgeois, mais il ne peut plus nous être utile. C’est singulier, continua-t-il, j’ai écrit à peu près en tout genre ; et cependant, dans toutes mes poésies, il n’y en a pas une seule qui pourrait se placer dans le livre de cantiques luthérien. »

Je lui donnai raison en riant, et je me disais que cette curieuse remarque en disait plus qu’elle n’en avait l’air.

Dimanche soir, 12 janvier 1827.

J’ai assisté chez Goethe à une soirée musicale, qui a été organisée par la famille Eberwein et par quelques artistes de l’orchestre. Il y avait peu d’auditeurs ; parmi eux le surintendant général Rohr[2], le conseiller aulique

  1. Poëte de l’école d’Opitz, dont les Poèmes religieux et mondains (1642) sont estimés, mais ne sont plus lus. Il a composé un cantique très-célèbre.
  2. Les fonctions de surintendant général répondent à peu près à celles d’évêque. C’est M. Rohr qui a prononcé l’éloge de Goethe, à ses funérailles. Il s’est fait connaître en Allemagne comme représentant distingué de la théologie rationaliste. Mort en 1848, à Weimar, où il était en fonctions depuis 1820.