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que, formé une foule d’esprits libres, qui maintenant, pendant la paix, se recueillent et font apparaitre leurs remarquables talents. »

Je demandai à Goethe si le parti classique avait été aussi l’adversaire de l’excellent Béranger. « Le genre dans lequel Béranger a composé, dit-il, est un vieux genre national auquel on était accoutumé ; cependant, pour maintes choses, il a su prendre un mouvement plus libre que ses prédécesseurs, et aussi il a été attaqué par le parti du pédantisme. »

La conversation vint sur la peinture et sur les défauts de l’école préraphaélique. « Vous avez la prétention, me dit Goethe, de ne pas être un connaisseur, mais je veux vous montrer un tableau qui, cependant, est d’un de nos meilleurs peintres allemands vivants, et où vous apercevrez tout de suite les violations les plus choquantes des premiers principes de l’art. Vous allez voir ; le détail est joliment fait ; mais c’est l’ensemble qui ne vous satisfera pas ; cela ne vous dira rien. Et la raison n’en est pas dans le défaut de talent du peintre ; non, mais chez lui l’esprit, qui doit diriger le talent, est dans les ténèbres aussi bien que toutes les têtes des autres peintres comme lui préraphaélistes ; il veut ignorer les maîtres parfaits, retourne à leurs prédécesseurs imparfaits et les prend pour modèles ! Raphaël et ses contemporains, sortant d’une manière petite, étaient parvenus à la nature et à la liberté, et les artistes actuels, au lieu de remercier Dieu, de se servir de ces avantages, et de s’avancer sur une route excellente, retournent à la petitesse. C’est trop fort ! et c’est à peine si on peut concevoir cet obscurcissement des cervelles. Comme sur cette route ils ne trouvent aucun appui dans l’art lui-même, ils en cherchent dans la reli-