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bougie, alors l’ombre portée est jaune clair, c’est la lumière presque pure ; si j’éloigne le petit bâton de la bougie, et si par conséquent l’ombre causée par le jour prend plus de force, alors le jaune devient rougeâtre, rouge même ; il y a invasion d’une quantité plus forte de ténèbres dans la lumière. »

Goethe sourit mystérieusement. « Eh bien, est-ce cela ? dis-je. » — « Vous avez bien vu et fort joliment décrit le phénomène, mais vous ne l’avez pas expliqué. Votre commentaire est adroit, spirituel même, mais ce n’est pas le vrai. Revenez un jour à midi, quand le ciel sera pur, et je vous montrerai un phénomène qui vous fera concevoir la loi ici appliquée. Je suis heureux de vous voir vous intéresser aux couleurs ; cela deviendra pour vous une source de joies indicibles. »

Après avoir quitté Goethe, ces phénomènes me préoccupaient tellement, que j’en rêvai. Mais en rêve, je ne trouvai pas davantage leur explication.

Il y a quelques jours, Goethe me disait : « Je ne mets pas vite au net mes notes sur les sciences, non pas que je croie pouvoir, encore maintenant, beaucoup servir la science et la faire avancer ; c’est simplement à cause des liens nombreux et agréables que je me garde ainsi. Les occupations que l’on a avec la nature sont les plus innocentes. En littérature, il ne faut plus penser maintenant à aucun lien, à aucune correspondance. Les voilà qui veulent savoir quelle ville des bords du Rhin j’ai voulu indiquer dans Hermann et Dorothée ! Comme s’il n’était pas mieux que chacun s’imaginât celle qu’il préfère ! On veut de la vérité positive, de la réalité, et on perd ainsi la poésie. »