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Mercredi, 13 décembre 1826.

Après dîner, les dames louaient un portrait d’un jeune peintre, « et, ajoutaient-elles, ce qu’il y a de plus admirable, c’est qu’il a tout appris seul. » Cela se reconnaissait surtout aux mains, qui avaient des fautes de dessin.

« On voit, dit Goethe, que le jeune homme a du talent, mais on doit le blâmer et non le louer d’avoir tout appris seul. On ne naît pas avec un talent pour le laisser abandonné à lui-même ; il faut l’adresser à l’art et aux bons maîtres, afin qu’ils en fassent quelque chose. Ces jours-ci, j’ai lu une lettre de Mozart, où il écrit à un baron qui lui envoyait ses compositions à peu près ceci : « On « ne peut que vous blâmer, vous autres dilettantes, car ordinairement, chez vous, de deux choses l’une : ou vous n’avez aucune idée originale, et alors vous pillez ; ou vous avez des idées, et alors vous ne savez pas vous en servir. » N’est-ce pas divin ? Cette grande parole que Mozart a prononcée à propos de musique ne s’applique-t-elle pas à tous les autres arts ? Léonard de Vinci dit : « Si votre fils ne se sent pas porté, quand il dessine, à faire ressortir tellement les objets par de fortes ombres, qu’on pourrait les prendre avec la main, il n’a aucun « talent. » Et il ajoute encore : « Si votre fils ne possède pas parfaitement perspective et anatomie, conduisez-le chez un bon maître. » Or maintenant, c’est à peine si nos jeunes gens entendent l’une et l’autre quand ils quittent leurs maîtres. Les temps sont bien changés. Nos jeunes peintres manquent d’âme et d’esprit ; leurs inventions ne disent rien et n’ont aucun effet ; ils peignent des épées qui ne coupent pas et des flèches qui ne bles-