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stedt[1]. Nous avions là un public d’élite qui ne voulait que de l’excellent ; nous retournions à Weimar toujours familiarisés avec les meilleures pièces ; nous pouvions répéter l’hiver toutes les représentations de l’été. De plus, le public de Weimar avait confiance dans notre direction, et même, lorsqu’il ne comprenait pas tout ce que nous faisions, il était convaincu qu’une vue élevée nous dirigeait dans notre manière d’agir. À partir de 1790, le vrai temps de l’intérêt que je portais au théâtre était déjà passé, je n’écrivais plus pour la scène, je voulais me consacrer entièrement à l’épopée. Schiller a ranimé mon intérêt éteint, et, par amour pour lui et pour ses œuvres, je m’occupai de nouveau du théâtre. Au moment de mon Clavigo, il m’eût été facile d’écrire une douzaine de pièces de théâtre ; les sujets ne manquaient pas, et j’avais la production facile ; j’aurais toujours pu écrire une pièce en huit jours, et je suis fâché de ne pas l’avoir fait[2]. »

  1. Petite ville d’eaux (près de Mersebourg) ; elle était alors très à la mode. Charles Auguste y allait souvent pendant l’été. Voir Correspondance de Goethe et de Schiller. Lettres de juillet 1799 et juin 1802.
  2. Dans une lettre écrite au comte Reinhard, le 20 septembre de cette année, Goethe parlait encore du Globe : « Des envois amicaux venus de France, et dus surtout à M. Cuvier, m’ont ramené vers l’étude de la nature. (Cuvier avait envoyé à Goethe la collection de ses Éloges et de ses Lectures académiques). La conversation presque journalière que j’entretiens avec les Messieurs du Globe me donne beaucoup à penser. Je vois bien que leur but est placé plus loin qu’il n’est permis de regarder à un vieillard de mon âge ; mais les observations qu’ils font sur le passé et sur l’avenir me donnent une sérieuse instruction. Ils sont sévères et audacieux ; ils vont au fond des choses, et parfois avec des airs de Rhadamanthe ; dans toutes leurs paroles ils poursuivent un certain dessein, aussi il ne faut pas s’abandonner à eux ; mais, même quand on n’est pas de leur avis, on admire leur grande intelligence. Toutes ces affaires du monde sont du reste si immenses, qu’il me semble être sur une petite nacelle glissant au milieu d’une énorme flotte de guerre ; ces vaisseaux me touchent, mais ni mon œil, ni mon esprit ne peuvent les mesurer… »