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pièces, s’il ne veut pas trouver en lui sa perte. J’ai bien fait de me débarrasser de lui par mon Gœtz de Berlichingen et par mon Egmont, et Byron a très-bien fait de ne pas avoir pour lui un trop grand respect et de suivre sa propre voie.

« Combien d’Allemands distingués ont trouvé en lui leur perte, en lui et en Caldéron !

« Shakspeare nous présente des pommes d’or dans des coupes d’argent. En étudiant ses pièces, nous savons bien lui prendre ses coupes d’argent, mais nous ne savons y mettre que des pommes de terre ; c’est là le malheur ! »

Je me mis à rire de cette charmante comparaison.

Goethe me lut alors une lettre de Zelter[1] sur une représentation de Macbeth, joué à Berlin avec des accompagnements musicaux qui ne répondaient pas au caractère grandiose de la pièce. Goethe, par sa manière de lire cette lettre, a donné aux idées qu’elle renferme toute leur vie, et souvent il s’arrêtait pour me faire remarquer certains passages frappants. — Puis il dit : « Je considère Macbeth comme la meilleure pièce de Shakspeare pour le théâtre ; c’est là qu’il a le mieux compris les exigences de la scène. — Mais si vous voulez connaître la liberté de son esprit, lisez Troïle et Cressida, où il a traité à sa manière le sujet de l’Iliade. »

Nous parlâmes ensuite de Byron, remarquant combien son genre d’esprit est inférieur à l’innocente sérénité de Shakspeare, et combien, par ses négations multipliées, il s’est attiré de reproches, qui, en grande partie, n’étaient pas immérités. — « Si Byron, dit Goethe, avait eu l’oc-

  1. Lettre du 12 décembre 1825.